Il ne pouvait cesser de sourire, ses doigts crispés de ne pouvoir attraper ceux qui pendaient à quelques centimètres des siens. Une douce chaleur l'enveloppait, et il avait l'impression de planer. Un petit rire lui échappa, et il déglutit en accélérant l'allure. Il ne pouvait pas aller trop vite à cause de sa jambe, et à présent, il devait aussi penser au même problème sur quelqu'un d'autre. Ils traversèrent encore deux rues qui mirent Adel dans un état d'euphorie quasi douloureux. A la première ruelle qu'il croisa, il coupa la route à son compagnon, laissa enfin ses doigts trouver les siens dans une décharge électrique, et le tira un peu trop violemment à sa suite. A l'abri des regards indiscrets, il le bloqua entre un mur et lui. Son corps pressé contre le sien, il sentait la tension de ses muscles s'apaiser, et son désir exploser lorsqu'il céda enfin à la tentation et pressa ses lèvres sur celles d'Alexander. Un baiser entre tendresse et famine, qui exprimait sa fièvre et tout ce qu'il avait retenu jusqu'ici pour ne rien trahir de son envie de le posséder aux yeux du monde. Il n'y avait encore rien d'officiel, et si Adel savait que certains de leurs amis étaient au courant - il avait du mal à faire semblant lorsqu'il était dans la même pièce que son amant - leur relation n'était pas connue de manière publique, et Alex avait encore du mal avec les démonstrations en pleine rue, au grand damn d'Adel, qui était incapable de lui résister.
« Tu me rends dingue, Lexi... » Il détestait devoir se retenir de l'aimer... Il se fichait des autres. Il se fichait des regards, des pensées. Il était fou d'Alex, et par deux fois déjà, il avait manqué de le perdre. Il avait mis du temps à comprendre son amour pour lui, ce sentiment qui le dévorait de l'intérieur depuis tant d'années... Ils avaient perdu un temps précieux, et Adel voulait rattraper chaque seconde où il avait été assez fou pour ignorer les cris de son âme et les battements de son cœur. Il avait été sourd à ses sentiments bien trop longtemps. Aujourd'hui, il voulait que chaque habitant de cette ville sache qu'Alex était à lui. Entièrement, pleinement, enfin. Il voulait s'afficher avec lui à son bras, lui voler son souffle en l'embrassant au milieu de la foule quand il en aurait envie, serrer sa main pour s'ancrer à cette réalité parfois si douloureusement difficile à supporter. Il n'aurait pas tenu le choc ces derniers mois sans Alex. Il peinait à retrouver son équilibre, à savoir ce qu'il voulait. Il n'était sûr que de son amour obsessionnel pour l'homme qu'il tenait entre ses bras dans un coin secret, et qu'il embrassait à l'étouffer, ses mains tremblantes caressant tout son corps, ignorant le monde autour d'eux pour ne se concentrer que sur ces sensations grisantes dont il se languissait. « J'ai envie de toi... Là, maitenant... » Il avait besoin de sentir sa peau contre la sienne, de l'embrasser plus intimement, ailleurs qu'entre deux murs humides et froids... Il descendit ses lèvres sur sa gorge, derrière son oreille, pour revenir lui voler un baiser appuyé où il impulsa tout la teneur de son désir. Pressé contre lui, il ne tiendrait plus très longtemps dans cet état... Leur appartement n'était pas loin, et si aucun d'eux ne pouvaient courir, la promesse d'une danse brûlante pouvait bien retenir les ardeurs d'Adel quelques minutes encore...
Il l'embrassait encore quand il sentit le jeune homme se crisper sous ses caresses. Son souffle était plus appuyé, et il lui sembla entendre sa voix. « T'as dit quoi ? J'ai fait quelque- » En s'écartant, Adel s'aperçu que son petit-ami regardait quelque chose... ou plutôt quelqu'un. Il suivit sa cible et son cœur rata un battement en reconnaissant la silhouette qui les observait depuis la rue, à quelques mètres. « Fait chier... » Il sentait sa libido retomber comme un soufflet. Ce n'était pas de la gène à ce stade, plutôt une colère blanche qui le fit serrer les poings contre le mur en baissant la tête dans un soupir. Il relava les yeux sur Alex. « J'suis désolé... je... je crois qu'il faut qu'on parle... Tu veux bien m'attendre à la maison ? » Il avait besoin de ça. Seul. Et puisqu'elle était là, qu'elle les avait surpris et qu'Adel avait perdu toute forme de désir... Il pris le temps d'embrasser Alex une dernière fois, sans se priver d'y mettre les formes. Le regard qu'il plongea dans le sien avant de le libérer destiné à le rassurer. Il ne savait pas vraiment ce qu'il faisait, mais il avait l'impression que c'était nécessaire. « Ça va aller, OK ? Envoie-moi un message quand tu es arrivé. » Il laissa Alex partir, une sensation de vide l'envahissant soudain comme on est submergé par l'océan. Il tenta de calmer l'adrénaline qui coulait à flots dans ses veines, et son sang qui bouillonnait encore. Il regarda son compagnon s'éloigner jusqu'à ce qu'il sorte de son champ de vision.
Seulement à ce moment là, il s'intéressa à l'intruse venue déranger leurs ébats.« Bonjour Madame le Maire. Que puis-je faire pour vous ? » Son ton était cynique, froid. Il ne savait pas comment se comporter avec elle. Il lui en voulait, presque autant qu'il s'en voulait. Et à James. Et après tout ce qui s'était passé, après avoir été surpris avec Alex dans cette ruelle, il avait tout sauf envie de faire des efforts. Là, tout de suite, il avait juste envie de fuir rejoindre son amant et oublier la jeune femme et tout ce qu'elle était. Encore un peu plus longtemps...
Ses vides n’en seraient pas moins présents en étant partagés.
Reykjavik paraît être une ville de peu de secrets. Tout le monde y connaît tout le monde et l’on croise à tous les coins de rue les mêmes personnes que la veille. La capitale est tout juste une métropole, la plus petite capitale du monde, même Solveig est très fière d’en avoir la responsabilité. Alors oui, elle pourrait être une ville de peu de secrets. Et pourtant, quel nombre de cachotteries marchent avec les ombres dans les rues islandaises ! Quelles dissimulations et manipulations flottent entre les rues froides de la ville ! Solveig en sait bien quelque chose, et la croisade menée par le Huldufolk contre les autres mystères que celui même de son existence lui est aussi agaçante qu’amusante. Elle a été victime de leurs coups d’éclat, comme bon nombre d’habitants. Ils s’appliquent à révéler les plus grandes discrétions de chacune et se rient des vies qu’ils détruisent parfois. Tous les secrets sont-ils pourtant bons à garder ?
Elle est bien loin de toutes ces considérations quand elle rentre de la mairie sur les coups de midi. Elle mange souvent sur place, avec Jake et d’autres élus, mais Princesse a pris l’habitude de grignoter le canapé quand elle le laisse trop longtemps seul. Elle rentre donc manger seule avec son petit chien, une pile de dossiers sous le bras, quand elle croit reconnaître deux silhouettes qui s’emmêlent dans la ruelle qui fait l’angle avec son immeuble.
Elle ne peut que s’arrêter. Ça ne la regarde pas pourtant. Ce ne sont pas ses affaires, et elle ne veut pas vraiment savoir ce qu’il se passe dans les coins sombres - ce qu’elle n’est définitivement pas supposée savoir, finalement. Ça ne la regarde pas, mais pourtant ça l’intrigue. Est-ce que c’est bien le visage d’Alex qu’elle distingue entre deux gémissements ? Est-ce que c’est la voix ... d’Adel ? Quand le premier pose sur elle un regard angoissé, elle fait un pas en arrière. Quand le deuxième se sépare de lui pour poser ses yeux sur elle, elle veut s’excuser, s’éclipser et oublier ce qu’elle a vu jusqu’à ce qu’on le lui annonce officiellement. Elle n’en a pas le temps.
Le visage d’Adel se fait furibond. Elle ne l’a jamais vu lui adresser une telle colère, et elle ne peut que lancer avec un sourire gentiment moqueur :
« Je vois qu’on s’amuse sans moi ! »
Elle aimerait désamorcer la colère de son ami, mais celui-ci ne lui adresse aucune attention alors qu’il entreprend de bécoter son amant une dernière fois avant de l’envoyer se rhabiller. La gêne monte vaguement en Solveig alors qu’elle regarde leur affection suinter jusqu’à elle, et elle finit par détourner le regard.
« Salut Al- ...ex? »
Il la bouscule un peu en passant, ne lui accorde aucun regard, et elle en vient à se demande ce qu’elle a fait de mal. Ils se sont toujours bien entendus. Elle n’a même pas fait de crasse à James depuis, oh, bien quelques semaines. C’est la voix d’Adel qui claque dans l’air froid qui les sépare qui reporte son attention sur son ami qui fulmine. Le ton narquois qu’il emploie à son égard, moqueur presque quand il l’appelle « madame le maire », peine Solveig plus que la rancune qu’elle perçoit dans ses yeux. Désemparée, elle décide de jouer la carte de la désinvolture, et elle lui répond d’un ton neutre :
« Je passais simplement par ici, monsieur Sendelson. J’ai été attirée par les bruits étranges que j’ai perçus dans cette ruelle. Vous m’aviez l’air fort aise, je voulais presque participer ! »
Elle voudrait juste dérider son ami, incapable d’imaginer qu’elle pourrait être la cause de sa colère en plus d’en être la cible. Après tout, elle ne voit pas ce qu’elle a fait de mal.
Il se moquait qu'elle les ait vus. Il se moquait qu'elle sache ; il n'attendait que cela depuis des semaines : que le monde entier soit au courant. Qu'Alex était avec lui, à lui. Qu'il l'aimait à en perdre la raison, à ne plus supporter que difficilement leur secret, qui n'avait plus lieu d'être qu'entre les murs de leur appartement. Aimer Alex était facile, naturel, inné. Mais quand il devait se retenir, cela devenait une torture qu'il essayait d'atténuer en s'imaginait dans ses bras, le soir venu. Dès qu'il le pouvait, il lui volait un baiser là, sous les projecteurs du monde, à l'abri des regards. Alors se faire surprendre... cela avait un goût d'inachevé, de presque malsain. Parce que la seule chose qu'Adel appréciait dans cette situation de couple caché, c'était qu'il pouvait avoir Alex pour lui seul.
Le regard de Solveig sur eux était comme le pillage de leur temple sacré, et s'il se moquait qu'elle sache la vérité, il se moquait moins de la façon dont elle l'avait apprise... Et que ce soit elle. Qu'y connaissait-elle à l'amour, elle qui avait épousé James, détruisant leurs vies à tous les deux ? Il savait qu'il était dur, que son ami était coupable aussi, et qu'en un sens, il n'avait pas forcément le droit d'être ainsi en colère contre eux... Mais c'était plus fort que lui. Il détestait le gâchis, et leur mariage en était un beau... Il aurait voulut lui hurler dessus combien il la trouvait stupide d'avoir accepté tout ça plutôt que se battre. Mais ils étaient au milieu de la rue, et elle était Maire à présent. Il devait se canaliser, et peser ses mots. Cela aussi, il détestait. Pas qu'elle dirige la ville, mais que cela termine de creuser le fossé que son mariage avec James avaient commencé à creuser.
« Je dois dire que je suis surpris que ton... mari ne t'ai rien dit à ce propos. J'ai toujours cru que James savait tout... Enfin qu'il savait pour ça... Pour le reste, je ne suis pas sûr qu'il sache grand chose, mais tu es là pour le guider maintenant, c'est génial. » Il avait toujours ce ton ironique, piqueté d'un acerbe tranchant. Il était véritablement étonné que James n'ait rien dit sur Alex et lui. Adel était à peu prêt certain qu'il avait tout compris, peut-être bien avant que lui-même ne comprenne... Et puisque Solveig était sa femme à présent. Ce mot lui laissait toujours un goût mer dans la bouche, et il soupira en croisant les bras sur sa poitrine, se fermant à toute approche de sa part, et lui signifiant combien il était agacé par tout ça... « Désolée de te décevoir mais je ne partage pas. Dois-je comprendre que tu n'es pas comblée ? James est un mauvais coup ? » Il avait conscience d'aller loin, mais c'était plus fort que lui.
Il détourna la tête, laissa tomber ses bras et soupira de nouveau. « Ecoute Sol, si tu n'as rien d'autre à me dire, je crois qu'il ferait mieux que je rentre. »Avant de lâcher quelque chose que je finirais par regretter. « Félicitations pour ton élection. C'est la seule bonne chose que tu as accompli récemment. Et Odin soit loué, James n'est pas à ta place. Même si je dois dire que son petit discours de soutien lui aurait presque valu le prix du mari de l'année. » Il s'était approché d'elle sans en avoir réellement conscience, et il se tenait à presque au dessus de son corps frêle, qu'il dépassait d'une bonne tête. La colère l'enveloppait comme une aura ; il devait faire demi-tour avant de déraper pour de bon. Il en avait déjà trop dit.
« Je vous souhaite le meilleur, et du courage. Il vous en faudra... » Et à lui aussi, pour ne pas exploser, hurler sur Sol ou frapper James. Pour ne pas se fustiger de n'avoir rien faire quand il en avait encore la possibilité. Pour ne pas simplement les perdre définitivement, et les voir se perdre, eux.
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