Il a un petit sourire qui aurait dû être amusé alors que c’est presque l’ancien Fenrir qui lui répond, mais le cœur n’y est pas, et ils redeviennent tous deux bien plus sérieux que ce à quoi ils ont habitué l’autre. Oui, rien dans cette journée n’est très normal. Jamais il n’aurait cru qu’il finirait par apprécier l’homme à ses côtés, et pourtant, alors que son regard fait le tour de la pièce, il n’arrive pas à se dire que quelqu’un d’autre aurait été un meilleur choix. Peut être qu’il était temps que ce soit Fenrir, justement. Il se demande rapidement ce que dira Sören quand il l’apprendra, mais s’arrête bien vite. Aucun d’eux deux n’assumera sans doute ce moment une fois le pas de cette porte franchie. S’ils le franchissent un jour. A en croire l’ambiance pesante et leur envie de mourir palpable, rien n’est moins sûr.

Son père. Les mots flottent entre eux dans un silence, comme une condamnation, et James hoche simplement la tête pour signaler qu’il a entendu, qu’il a compris, qu’il n’en plaisantera jamais. Son père. L’alcool. Les coups. Hinrik. Mais Hinrik est mort, et Fenrir est bien vivant. Il en a l’air, en tout cas. Pourtant quelque chose doit être mort en lui, malgré tout ce qu’il peut prétendre, malgré tout ce qu’il a dit. Une part de son enfance a dû mourir bien trop tôt quand la personne qui était censée le protéger est devenue celle qui lui a fait le plus mal. Sa gorge se serre un peu et il détourne le regard à l’opposé du journaliste pour se retenir de prendre sa main et de la serrer. Il ne sait pas pourquoi il a envie de le réconforter, mais il sait bien qu’il en est incapable. Il n’a jamais su réconforter les gens. Il n’a jamais su aider les gens.

La voix de Fenrir le fait sortir de ses pensées, et quand il rencontre de nouveau son regard, il se rend compte qu’il a envie de pleurer, et que ça se voit sans doute, alors il ravale rapidement ses larmes avant de rire doucement. Ca ne lui ressemble pas, d’être si émotif. Tout lui semble être plus fort, ici. C’est peut être la pression. C’est peut être le silence. C’est peut être parce qu’il est obligé de penser. Il fouille les poches de sa veste, mais il ne lui reste aucune sorte de drogue pour calmer la réalité, alors il soupire et il prend la bouteille tendue pour la vider. Il avait presque oublié qu’il avait un secret, lui aussi. Il avait presque oublié le rapport d’autopsie et la mère qui garde Hinrik pour les photos. Il avait presque oublié que le monde risquait de s’écrouler.

Il ne prend même pas la peine de répondre à son compagnon d’infortune en se relevant, trop occupé à réfléchir à comment se sortir de ce pétrin. Peut être qu’il devrait lui faire promettre de ne rien dire et arrêter sa torture en avouant. Mais avouer quoi ? Peut être que celui qui a monté cette torture ne sait pas tout, et alors il vendrait la mèche pour rien. Il n’est même pas sûr de connaître la vérité lui-même, après l’avoir ignorée trop de fois. « Je suis pas sûr de savoir ce que c’est. Je suis fait de secrets, Fenrir. » Il plaisante un peu en prenant sa main, mais étonnamment, il n’a pas vraiment l’impression de mentir. Tandis qu’il cherche ce qu’il pourrait bien dire pour révéler son secret, il rentre dans un mur mental. C’est peut être ça, refouler, alors.

La vidéo change, et James la fixe une demi seconde avant de soupirer et de garder la main de Fenrir dans la sienne pour aller jusqu’à la porte. Les vis sont par terre, et la trappe bien en évidence. « T’es pas obligé de venir, si tu veux pas. T’as dit ton secret, je suppose que ton voyage est fini. » Ce n’est sans doute pas aussi simple, mais il a presque envie d’épargner le journaliste, au moins un peu. Faute de mieux, il s’accroupit et plonge sa main dans la trappe avant qu’il n’ait le temps de le faire. Après tout, il n’a toujours pas facilement peur, et maintenant que la salle silencieuse est passée, il n’est pas sûr qu’il puisse lui arriver quelque chose qui le tourmente vraiment.