Tu la connais cette maison. Tu l'as déjà visitée lors d'une de tes sorties d'urbex. Tu avais même trouvé l'ambiance presque apaisante à l'intérieur, entouré des vieux murs encore solides et du silence agréable. Aujourd'hui, tu ne t'y sens pas bien du tout lorsque tes pas te mènent à l'intérieur, au milieu du champ de bataille. C'est comme si une petite tornade était passée par ici, détruisant tout sur son passage et faisant voler en éclats l'aura paisible de l'endroit. C'est devenu lourd à présent, tu n'as pas envie d'y rester. A vrai dire, tu ne sais même pas vraiment pourquoi tu es venu.

Des secrets, tu en as. Comme tout le monde. Certainement que les pires d'entre eux pourraient te détruire pour de bon. Pourtant, ce n'est pas vraiment pour ça que tes pas ton guidé jusqu'ici. Il faut dire que plus grand-chose ne semble avoir d'importance à tes yeux récemment et il en faut beaucoup pour arriver à te tirer hors de l'appartement, loin des bouteilles à moitié vides qui t'attendent et des regrets qui essaient sens cesse de te submerger. C'est la curiosité qui t'a fait bouger. Encore et toujours cette stupide curiosité.

Tu lis la phrase inscrite sur le mur et tu as l'impression étrange de ressentir le poids de chacun des mots dans ton cœur. Tu n'as cependant pas le temps de t'attarder plus longtemps sur l'étrange inscription, il y a des pas qui résonnent derrière toi. Tu te retournes et tu rigoles un peu lorsque tes yeux se posent sur l'homme. De tous les habitants de la capitale, il fallait que ce soit lui. Trop gros pour être une coïncidence, tu n'y crois pas. "Salut, James." Ton ton est neutre parce que, pour une fois, tu n'as plus la force d'attaquer. Et puis, il y a un moment maintenant que tu as réalisé que malgré tout ce que tu aurais bien voulu croire, tu n'as jamais été un meilleur être humain que le blond.

Tu entends la porte se verrouiller et tu te dis vaguement que c'est embêtant. Que rester coincé avec ton pire ennemi n'est pas la meilleure des occupations. Que si tu dois mourir entre ces murs, tu aurais préféré que ce soit avec quelqu'un d'autre. Et puis, tu réalises que la seule personne que tu voudrais près de toi, tu l'as perdue. Alors, finalement, ça n'a plus vraiment d'importance. "Je propose de boire en attendant que le Huldu se lasse de son petit jeu." Tu t'assois par terre, récupérant une bouteille encore un peu remplie qui traîne au sol. Tu n'as pas l'intention d'être utile, tu as déjà fait un effort admirable en te rendant jusqu'ici.

Pour une fois, c'est étrange de voir le blond s'énerver contre toi et non l'inverse. Tu te dis que c'est certainement mauvais signe pour toi d'en être arrivé à ce stade. Tu te dis que ce vide que tu ressens à l'intérieur, s'il peut paraître salvateur après toute la douleur, il n'en reste pas moins dangereux. Tu observes les yeux bleus furibonds se poser sur toi avant de dévier pour déchiffrer les inscriptions sur le mur. Tu prends une gorgée de la bouteille en te demandant si vous allez rester bloqués ici toute votre vie. Et puis, soudain, il y a sa main sur ta mâchoire et tu es obligé d'affronter son regard. Tu le soutiens, et tu écoutes. Ca fait certainement sens ce qu'il dit, tu n'y avais même pas pensé. Ca te fait un peu sourire et tu ne sais pas trop pourquoi tu l'écoutes, mais tu finis par te lever. "Tu penses vraiment que je me suis fait chier à pourrir cette maison et à t'envoyer cette stupide lettre alors que tu ne sais pas lire ?" Tu rigoles encore un peu tant l'idée te paraît incroyable. "Et pour quoi faire ? Te faire peur ? J'ai l'impression que t'as peur de rien, James, ça aurait simplement été une perte de temps pour moi."

Toi non plus tu ne sais pas trop pourquoi tu es ici, et jusqu'à maintenant, tu n'avais pas vraiment peur. Mais il y a un bruit tout à coup. Un son qui te glace le sang et qui efface tout sourire un peu trop confiant de ton visage. Un frisson parcourt ton corps et tes poings se serrent. Alors, finalement, il y a bien quelque chose qui peut te faire réagir. Parce que ces cris, ces insultes, la terreur dans la voix de l'enfant, ce sont des choses que tu connais un peu trop bien. Des souvenirs que tu avais enfouis si profondément que tu pensais presque les avoir oubliés. Il te faut un moment pour bouger et quand tu t'engages dans la cuisine, tu comprends que tout cela n'est pas qu'un simple jeu sans réelles conséquences. Tu réalises que ceux qui s'amusent à vous torturer savent des choses qu'ils ne devraient pas. Et que ce n'est certainement pas une bonne nouvelle.

Tu essaies de te concentrer sur les paroles qui s'échappent de la cassette. De faire abstraction des sons terrifiants pour te concentrer sur la voix. Mais rien de sensé ne te vient et ça devient compliqué de réfléchir alors que la peur semble prendre possession de tes facultés et que la seule personne à tes côtés se trouve être James. "C'est quoi ce bordel ? Comment on l'arrête ?" Peut-être que si le bruit cesse, tu pourras retrouver un cerveau fonctionnel. Tes mains cherchent déjà à agripper le petit appareil, tes doigts peu assurés cherchant à retirer la cassette. Tu prends finalement une grande inspiration quand le calme revient avant de poser tes yeux sur le blond. "Ok, je sais pas qui s'amuse avec nous comme ça, mais j'aime pas du tout. Alors, au lieu de m'accuser inutilement, aide-moi à trouver comment sortir d'ici." Et tu commences à inspecter la pièce, posant la cassette maudite sur un vieux meuble.

Rien ne va. Incapable d'en avoir quelque chose à faire de te dire que tu pourrais mourir ici. Incapable de détester James et de te lancer dans votre petit jeu habituel à base d'insultes et de haine. Et soudain, incapable de réfléchir aussi. Parce qu'il y a ce bruit qui a réveillé une peur enfouie bien trop puissante et tu as presque envie de te rouler en boule par terre et de ne plus bouger jusqu'à ce que le monde arrête de te sembler aussi cruel. Il y a la voix du père, qui hurle, et tu peux soudainement entendre la voix du tien. Le ton menaçant D'Ulrik, l'haleine qui pue l'alcool. Il y aussi les cris apeurés du petit garçon et tu te reconnais dans cette souffrance, dans cette impression horrible d'être trahi par son propre sang et de ne rien comprendre. Il y a les bruits lointains de coups et tu as mal. Des points endoloris sur ton corps, comme un fantôme de blessures passées qui ne se réveillent que maintenant. Il y aussi les bouteilles qui s'écrasent au sol et cette fois-ci, tu te dis que tu fais les mêmes erreurs. Que tu n'as jamais été meilleur que ton père, ni que quiconque.

Il faut que tu arrêtes tout. Que les sons s'évanouissent avant que tu deviennes fou. Sans vraiment faire attention à James, tes pas te mènent vers le lecteur de cassettes et tu te dépêches de mettre fin à tous ces souvenirs que tu ne voulais jamais revivre. Quand le silence revient, tu as encore peur. Peur de savoir que quelqu'un ou quelque chose peut avoir une telle emprise sur toi. Peur aussi de voir le blond se jouer de ta plus grande faiblesse et devenir maître d'une phobie qui pourrait te détruire. Tu ne remarques même pas qu'il ne s'est pas encore moqué de ta réaction. Parce que c'est James et parce qu'il n'a jamais fait de cadeaux. Alors, tu préfères t'enfermer dans un mécanisme de défense qui n'a sûrement rien de crédible. "Non, ce n'est pas mon secret." Plutôt mourir que d'avouer ce passé douloureux à la seule personne encore vivante sur cette Terre qui pourrait faire revivre le cauchemar. "Je ne sais pas qui c'est Hinrik. C'est peut-être ton secret à toi en fait."

Tu sens que ton cœur bat encore trop vite alors que vous reportez votre attention sur la cheminée. Tu n'as pas eu le temps de reprendre le contrôle quand la nouvelle vision d'horreur se dévoile sous vos yeux. Parce que derrière la trappe, ce n'est pas une promesse de liberté que vous trouvez. A la place, tu as l'impression d'avoir atterri dans un de ces films d'horreur que tu aimais pourtant tant regarder. Lorsque la suie opaque se dégage enfin de ton champ de vision et quand tu sens un haut le cœur en humant cette odeur abominable, tes iris se posent sur un cadavre. Tu ne sais pas vraiment pourquoi tu fixes ce chien mort. Ni pourquoi tu observes chacun des moindres détails de son corps en décomposition, chaque morsure étrange, chaque ver grouillant. Tu as envie de crier ou de vomir. Mais ton corps a comme cessé de fonctionner tout à coup et tu es incapable de te détacher de cette scène qui viendra certainement hanter tes nuits.

Et finalement, tu sens la panique monter. Il y a tes yeux qui piquent à cause des larmes qui montent, mais qui sont incapables de couler. Il a la sueur qui perle sur ton front, et ton cœur qui va beaucoup, beaucoup plus vite que d'habitude. Et ta respiration... Pourquoi tu n'arrives plus à respirer tout à coup ? Ni à réfléchir ? Pourquoi il y a ce poids écrasant sur ta poitrine et pourquoi tu n'arrives pas à détourner les yeux ? "Faut qu'on sorte d'ici... James, putain, faut qu'on sorte !" Qui aurait cru que tu te retrouverais un jour à supplier le blond de t'aider ? Les indices, tu ne les vois pas. Tu ne veux pas les voir, tu ne veux pas jouer à ce jeu stupide. Tu veux sortir. Mais quand tu te précipites vers la porte d'entrée et que tu essaies de toutes tes forces de l'ouvrir, rien ne se passe et cette fois, tu ne trouves pas ça drôle. Parce que cette fois, il y a tes poumons qui n'ont définitivement pas assez d'air et il y a même ta vue qui se trouble légèrement. Incapable de penser à autre chose qu'aux pleurs de l'enfant, qu'au père enragé, qu'à ce chien mort.

Quand tu reviens dans la cuisine, le pas rapide et la vision brouillée, c'est dans un geste enragé que tu jettes la cassette contre le mur. Elle retombe à tes pieds, intacte, comme pour te narguer. Et c'est finalement le moment où ton cerveau décide de former une pensée cohérente. "J'ai l'impression qu'il y a une autre bande son sur la cassette. De l'autre côté."

Jamais tu n'aurais pensé un jour devoir compter sur James. Pour quoi que ce soit et encore moins dans une situation aussi extrême. Pourtant, alors que ton cerveau semble incapable de fonctionner correctement et que ton corps agit contre ta volonté, c'est bien James qui garde le contrôle. James ne ressemble pas vraiment à James à cet instant, mais certainement que tu ne te ressembles pas non plus. Tu l'observes du coin de l'œil prendre une pilule et tu te retiens presque d'en demander une toi aussi. Peut-être que tu aurais bien besoin d'une aide extérieure pour ne pas simplement perdre la tête. Mais tu ne dis rien et à la place, tu laisses la panique exploser. Tu cours, tu cris et tu veux tout casser. Mais rien ne se brise vraiment, si ce n'est ton mental, un peu plus encore. Pourtant, l'affolement n'aura pas été vain puisque c'est dans un excès de rage que tu jettes la cassette contre le mur et que la deuxième bande son se révèle.

Le papier est brandi devant toi et tes doigts un peu tremblants s'en empare. Tu as l'impression que la feuille pue encore le cadavre et qu'il y a des bouts de chair dessus. Imagination de ton esprit traumatisée ou réalité, tu ne sais pas vraiment et c'est sûrement mieux ainsi. Tu lis les quelques lignes inscrite dans ta tête avant de bêtement réaliser que James n'a certainement pas pu les déchiffrer. "La chambre est fermée à clé. Pourquoi est-elle toujours fermée à clé ?" Naturellement, ton regard se braque sur la porte définitivement close, clouée et ce petit jeu malsain ne te dis rien qui vaille. Tu hésites entre crever ici pour ne plus avoir de mauvaises surprises comme ce pauvre chien décédé et sauver ta peau.

L'enregistrement ne fait aucun sens pour toi. Tu ne comprends pas de quoi ça parle et s'il y a bien le nom de Hel qui te semble vaguement familier, tu n'es pas certain d'y voir un quelconque indice. Tu te tournes vers James, l'expression de ton visage oscillant entre l'incompréhension et la méfiance. "Tu as compris quelque chose ? C'est lié à ton secret ?" Si le tien y est déjà plus ou moins passé, tu te doutes que le tour du blond devra bien finir par arriver aussi. "Le médecin a parlé de huit scarifications, je crois, et de trois brûlures. Huit et trois. C'est peut-être un bout du code, ou bien peut-être pas, j'en sais rien..."

Tu ne te sens pas bien. Si ta respiration a repris un rythme plus ou moins normal, tu as le sentiment désagréable d'être étourdi. Bien à l'opposé de ton explosivité de toute à l'heure, tu laisses maintenant des yeux las balayer la pièce autour de toi. "J'en ai déjà marre de leur escape game à la con. Qu'est-ce qu'ils attendent de nous au juste ?" Au fond, tu crois savoir ce qu'ils attendent. Parler ou payer le prix. Etrangement, tu as l'impression que même la vue d'un chien mort ne pourra te pousser à parler. Alors à la place, tu explores. Tu avances d'un pas lent, sans trop d'effort. Tu ouvres des placards vides, tu soulèves des assiettes ébréchées. Tu fouilles sans conviction. Et finalement, tu tombes sur un cadenas, maintenant le porte de réfrigérateur bien fermée. "Ok, c'est ça qu'on doit ouvrir." Pourtant, tu n'en as pas très envie. Qui sait ce qu'il se cache à l'intérieur ?

C'est lié à son secret. Évidemment. Tu peux le voir aux traits de son visage qui changent imperceptiblement pour devenir plus durs. Tu peux aussi l'entendre dans le ton ton sec et sans appel de sa réponse. C'est un non qui veut dire oui, comme le tien auparavant. C'est un non qui veut dire qu'il ne veut pas en parler. Et pour une fois, tu ne peux que trop bien le comprendre. Ce n'est pas une coïncidence si vous êtes coincés ici tous les deux. Ce n'est pas uniquement parce que quiconque vous a réuni dans cette maison de l'horreur veut s'amuser à vous voir vous entretuer. Non, c'est quelque chose de plus grave. Un passé lourd, douloureux, des non-dits gravés dans vos chairs, dans vos mémoires et dans vos personnalités à jamais. C'est différent, mais au final, c'est un peu la même chose. Et même si tu ne saisis pas dans le détail ce qu'il a bien pu arriver à James, tu sais que c'est important. Et pour une fois, tu compatis.

Tu ne sais pas comment ils ont su. Ni même qui ils sont. Ni pourquoi ils font tout ça. C'est certainement le plus terrifiant. Ne pas savoir. Être une marionnette dans les mains trop joueuses d'une puissance inconnue. Toi aussi, tu scrutes le plafond en vain et toi aussi, tu ressens la rage. "Qu'on va sortir d'ici et qu'on trouvera qui se joue de nous comme ça." Ca va un peu mieux, tout à coup. Porter par cette colère assourdissante qui te pousse à chercher. A trouver les indices pour sortir d'ici. Pour mener ton enquête et trouver les responsables. Pour leur faire payer d'avoir fouillé dans tes pires souvenirs pour te mettre face à tes pires angoisses.

La peur est toujours là, tapie en toi. Juste assez pour te donner mal au ventre et accélérer ton cœur. Pourtant, et tu n'aurais jamais cru dire ça un jour, mais c'est l'énergie de James qui te motive alors que tu pars à la recherche de la fin du code. Aucun de vous deux n'a envie que le pire soit révélé à l'autre. Hors de question d'en parler alors à voix haute. "J'en ai plein des secrets à balancer. Comme la fois où j'ai triché à l'examen de fin d'année, mais je ne suis pas certain que ça suffise." Tu lances un regard en direction du blond alors que tes pas te mènent à nouveau vers l'entrée de la grande cuisine, à la recherche de la suite du précieux code. "Par contre, de ton côté, si tu veux expliquer ton secret et en quoi il est relié à l'audio qu'on vient juste d'entendre, n'hésite surtout pas." Tu sais qu'il ne parlera pas. Et tu ne peux pas lui en vouloir.

Tu croises soudainement ton reflet pâle dans un miroir fissuré et vieilli par les années. Tu as l'impression que ça fait une éternité que tu ne t'es pas vraiment regardé. Depuis qu'il est parti, il n'y a rien qui a moins d'importance pour toi que ton apparence. Les quelques kilos en moins, bien que loin d'être excessifs, ont tout de même réussi à creuser un peu tes joues. La vie que tu as décidé de mener à présent, l'alcool et les insomnies, et la peur actuelle aussi, font ressortir les cernes sur ton teint un peu trop maladif. Tu soupires et d'un geste agacé, tu vas pour retourner le miroir. Et alors, tu le vois. Inscrit de la même écriture un peu enfantine, la suite du code. "J'ai trouvé un autre chiffre ! 4." Plus qu'un avant la libération, peut-être...

Aussi incroyable que cela puisse paraître, la remarque de James t'arrache presque un soufflement amusé. Parce qu'il n'y a que lui pour parler aussi crûment d'une autopsie. Parce que lui non plus, il n'avouera rien. Mais tu ravales bien vite ce sourire qui n'en est même pas vraiment un parce que aussitôt qu'il étire tes lèvres, tu as l'impression qu'il est faux. Alors, à la place, tu cherches. Tu concentres ta rage dans l'examination de chacun des recoins de la maison au lieu de céder à la panique. Tu prends seulement le temps de t'arrêter pour observer cet étranger que tu ne reconnais pas dans le miroir. Un reflet peu flatteur qui te donne envie de balancer un coup-de-poing pour briser la glace. Mais tu n'as jamais aimé la violence, alors, à la place, tu te contentes de le retourner pour masquer la vision dérangeante. "Non, j'ai toujours eu une sale gueule." Même après tout ce temps, entendre le prénom de celui que tu as perdu te fait du mal.

Et soudainement, la chance s'abat sur vous et les deux chiffres manquants apparaissent comme par magie. Tu suis James, l'observant inscrire le reste du code avec une certaine appréhension. Parce que tu le sais, que tout ne peut pas déjà être fini. Qu'une étape de franchie n'est certainement pas synonyme de fin du jeu et que ce qui vous attend à présent est peut-être pire encore. Comme par exemple, un réfrigérateur qui n'en est pas vraiment un. Tes sourcils se froncent sous la surprise alors que tu analyses le genre de cercueil qui s'ouvre devant vous. "Sérieusement, un tombeau ?" Tu déchiffres l'inscription au fond de la boîte, la lisant à voix haute pour ton acolyte. "Je sais pas qui se paye notre tête comme ça, mais on pourra pas leur enlever leur imagination."

Si le ton de ta voix se veut léger, il ne pourra pas totalement masquer le malaise tapi en toi. Il n'y a de la place que pour une seule personne dans ce réfrigérateur piégé. Et même si ça te fait presque mal de te l'avouer, tu n'as pas vraiment envie d'être séparé de James à cet instant. Tu n'as pas envie de te retrouver dans cet endroit confiné et sombre qui pourrait réveiller des peurs que tu ne connais pas encore, mais que tu redoutes. Tu n'as pas non plus envie de rester seul ici, pas alors que la panique est si proche de reprendre le contrôle. Tu prends une grande inspiration avant de te tourner vers le blond. "Alors, à qui l'honneur ? On joue ça au pierre papier ciseaux ?"

Maintenant que tu as trouvé un cercueil à la place d'un réfrigérateur ouvert, tu te dis que plus grand-chose dans cette maison ne pourrait te surprendre. En revanche, tout cela commence doucement à t'énerver et tu oscilles dans un malaise palpable entre un agacement grandissant et une peur sans nom. Tu as envie de crier, d'utiliser toutes les grossièretés à ta disposition pour hurler ce que tu penses à celui ou celle qui se joue ainsi de vos pauvres personnes. Mais finalement, tu ne dis rien. Les représailles pourraient être terribles et tu n'as pas envie d'entendre à nouveau cet enfant apeuré et cet homme violent. Alors, à la place, tu fixes la décoration macabre avec un soupir, parce qu'il vaut certainement mieux s'enterrer vivant que partager le secret que tu sais attendu.

A ta surprise, tu n'as pas besoin de prendre ton courage à deux mains et de te recroqueviller dans le tombeau. Tes yeux assombris suivent la silhouette blonde qui se glisse à l'intérieur sans plus de cérémonie. Tant mieux d'un côté, plutôt lui que toi. Pourtant, tu n'es pas totalement rassuré. Tu ne sais pas ce qui l'attend de l'autre côté et surtout, tu ne sais pas ce qui t'attend toi. "Ca me fait chier qu'on doive se séparer." Il te faut un instant pour prendre conscience des mots que tu viens de prononcer, et surtout à qui tu viens de les adresser, et malgré l'ambiance pesante, tu ne peux retenir un petit sourire amusé. "Je n'aurais jamais pensé dire ça un jour dans ma vie. Essaie de ne pas prendre la grosse tête, Mörkson."

Une grande inspiration plus tard, ta main légèrement tremblante se referme sur la poignée, prête à enfermer James dans l'obscurité. "Et gâcher tout le suspense ? Tu rêves, je resterai silencieux." Un dernier regard en sa direction et une dernière phrase avant de l'enfermer pour de bon dans son piège morbide. "Ca va bien se passer." Tu n'en sais rien, tu espères. Autant pour lui que pour toi.

Il a une moue inquiète alors qu'il observe James disparaître derrière la porte. L'autre n'est plus là et il est soudainement tout seul. Il n'aurait pas pensé, mais la présence de celui qu'il est censé détester lui manque affreusement. Parce qu'il se dit qu'il vaut certainement mieux être mal accompagné que seul, pour une fois. Et parce que sans James, il n'est pas certain de pouvoir contenir la panique qui gagne déjà un peu plus de terrain à chaque seconde qui passe. Pendant un instant, le silence est affreux. Il entend les craquements sinistres de la vieille bâtisse. Il peut presque discerner les battements un peu trop rapides de son coeur. Mais bien vite, le silence vole en éclat.

Il se retourne si rapidement dans un sursaut affolé que sa vision se brouille un instant. Il court vers le salon, observant avec effroi le mur explosé et le message qu'il peut à présent lire. "Non non non non..." Il répète les mots comme un mantra, de plus en plus vite alors que la panique commence à prendre le dessus et que les larmes lui brûlent les yeux. Il court à nouveau, dans l'autre sens. Vers le réfrégérateut maudit. Vers James. Il tape, il donne des coups de pieds. Il crie. "James ?! Tu m'entends ?!" Rien. Le silence à nouveau. Un silence horrible, mais certainement bien moins effrayant que celui qui doit entourer le blond.

Une larme s'échappe. Une autre. Il a l'impression d'être entré dans son pire cauchemar. Il a l'impression de devoir affronter sa pire peur pour s'en sortir. Pour sauver l'autre. Ce n'est plus vraiment une impression à présent, c'est la réalité. Il aurait pu chercher encore, fouiller chaque milimètre carré de cette batisse à la recherche d'une sortie, mais il sait déjà que c'est peine perdue. Et qu'il n'a pas le temps. Ce jeu malsain, ça ne peut pas être l'oeuvre d'un humain. C'est quelque chose d'autre, de supérieur. Quelque chose qui peut tuer.

Il ne veut pas parler. Il ne veut pas se rappeler plus qu'il ne le fait déjà. Il aurait certainement été prêt à souffrir ici des jours encore plutôt que de laisser ses pensées s'aventurer dans les souvenirs qu'il avait mis si longtemps à oublier. Comme un méchanisme de défense pour ne pas réveiller les traumas du passé. Mais il ne s'agit pas de lui, cette fois-ci. Il s'agit de James. Il ne peut pas laisser l'autre souffrir, ou pire encore, simplement par qu'il est trop faible. Alors il glisse lentement contre le mur, touchant le sol et ne retenant plus aucune larme. Et il accepte les souvenirs. L'odeur de l'alcool. La douleur des coups. Le goût du sang dans la bouche. Le bruit glaçant des cris. Et la panique le secoue pendant quelques minutes où il ne peut plus parler.

"Le père." Il regarde le plafond quand il parle, la voix basse. Il regarde le ciel. Il ne sait pas à qui il s'adresse. Il ne sait pas qui veut bien l'écouter. "C'est le père qui l'a tué. C'est mon père qui aurait pu me tuer." Ou bien peut-être que c'est l'alcool, la réponse. Ou bien la souffrance de perdre un être aimé. Peu importe. Il ne pleure plus de tout à présent. Il ne ressent plus grand-chose non plus. C'est peut-être mieux ainsi, ou pire parce qu'il est encore plus brisé qu'avant. Il a l'impression d'avoir perdu. Il espère simplement pouvoir sauver James. 

Il y a un vide étrange qui s'installe en lui alors que le jeu le nargue. Il ne sait plus vraiment s'il est triste, s'il a peur, s'il est en colère. Pendant un instant, il ne ressent plus rien du tout et c'est certainement pire que tout. Les larmes sèchent sur ses joues, il n'y en aura pas de nouvelles. A côté de lui, il entend James sortir de sa prison silencieuse, mais il ne tourne pas la tête pour l'observer. Il croit entendre son prénom quitter les lèvres du blond, mais il n'est plus certain de rien. Il se dit vaguement qu'il n'est pas mort et que c'est sûrement une bonne nouvelle. Ce jeu l'aura poussé à bout, mais au moins, ils sont encore tous les deux.

Il y a une bouteille qui bute contre sa chaussure et il se reconnecte enfin à la réalité. Son regard croise celui de James tandis que le liquide trop fort coule déjà à grandes goulées dans sa gorge. Le remerciement finit par sortir, bien trop sincère de la bouche de celui qui ne l'a jamais habitué à ça. C'est étrange à entendre et ça le fait ricaner un peu. "James Mörkson qui me remercie, on devrait en faire un jour férié." Il ne sait pas bien pourquoi il essaie de détendre l'atmosphère, ils savent tous les deux que ça ne rime à rien et que les efforts sont vains. Alors il arrête de rire et à la place, il boit. Encore.

Il se souvient du jour où Sören est entré dans sa vie. Il se souvient du jour où il s'est rendu compte qu'il n'y avait personne sur cette Terre qui pouvait le rendre plus heureux que le brun. Il se souvient du jour où il a compris qu'il était amoureux et il se rappelle de tous ses sentiments qui l'avaient amené à penser que s'il devait un jour se confier sur ses traumatismes du passé, ce serait à lui qu'il en parlerait. Mais maintenant il n'est plus là et c'est James qui découvre les blessures béantes et la souffrance enfouie. Et il ne peut plus faire semblant. Alors, il se contente de hocher la tête pour répondre à sa question. "Mon père." Il n'a pas besoin d'épiloguer, l'autre à compris. Et tout le reste, il peut facilement l'imaginer.

"Il ne reste que ton secret maintenant." Il plonge à nouveau ses yeux dans ceux de James en lui tendant la bouteille presque vide. "Il est encore temps que tu l'avoues, tu sais. Ils nous laisserons sûrement partir après ça." Il n'a plus vraiment envie de sortir de cette maison pourtant. Qu'est-ce qu'il va se passer après ? Qui sera là pour l'aider à recoller les morceaux brisés de lui ? Personne. "Mais je suppose que tu ne diras rien alors on devrait aller explorer d'autres pièces." Il sait déjà comment tout va se passer. Ce sera à son tour d'être prisonnier à James de le sauver en parlant. Ou quelque chose du genre, peu importe. Il finit par se relever sur des jambes fatiguées et par tendre la main à son acolyte. "Allez, debout."