Roger fait la tête, quand James lui dit qu’il a besoin d’être emmené quelque part et qu’il lui tend l’adresse. Il ne comprend pas bien pourquoi, lui, et il part prendre une douche. Qu’est ce qu’on porte pour ce genre d’occasion ? Ce n’est qu’une rencontre. Ca a l’air d’être officiel, pourtant. Il n’est pas très doué en évènement sérieux, lui. Est-ce qu’il devrait mettre une chemise ? Probablement pas. Il peut remettre son t shirt. Après l’avoir pris et avoir réalisé qu’il y avait une immense tâche de sauce tomate dessus, il hésite un peu. Non, un t shirt propre. Lui. Froissé, mais propre. Parfait. Et un jean. Il ne faut pas oublier le jean. Non. Trop serrés, les jeans. Un pantalon de survet. Parfait. Comme ça si Roger refuse toujours de l’emmener, il pourra toujours y aller en skate.

C’est presque ce qu’il se passe. Finalement, Roger accepte, majoritairement parce qu’il constate que James a déjà presque une heure de retard et qu’il a l’air décidé à utiliser son skate dans la grande descente entre Laugardalur et le centre-ville pour y aller, mais pas trop loin. Alors James rit un peu en montant dans la limousine, et un peu plus quand le majordome s’arrête à peine après l’entrée du quartier, à cinq minutes de la maison. « Merci quand même, Roro. T’as qu’à rentrer, je me débrouillerai. » Ca ne fait pas longtemps, qu’il dit merci. Sans doute depuis que tout le monde sait, même Roger, et que pourtant il a tout de même vu son visage au dessus du placard à céréales le lendemain des élections. Il n’est pas parti, Roger. Ils n’en ont pas parlé, mais quelque part, il devait déjà savoir. Il est toujours là. Et il sait très bien qu’il se réveillera pour venir le chercher s’il appelle.

Alors il utilise son skate pour les minutes restantes, histoire de rentabiliser son choix de pantalon, et se retrouve bien vite devant la maison. Mais alors qu’il va frapper, il se fige un peu. C’est plus difficile, en ce moment, de ne pas avoir peur de la moindre petite réflexion qu’il peut se faire, depuis que le secret est dévoilé, depuis qu’il a refusé d’en parler avec qui que ce soit. Mais Drake lui a proposé de rencontrer son copain. Ca veut tout dire. Et étrangement, tout en se sentant automatiquement reconnaissant, il a aussi l’impression qu’il lui doit de bien se comporter. De ne pas lui faire peur. De ne pas être jaloux et possessif. De ne pas chercher à tester les limites et les faiblesses pour savoir s’il vaut vraiment le coup. Il ne sait pas s’il y arrivera. Il ne sait pas s’il sait le faire. Il va essayer.

« BONSOOOOIR J’AI FAIM ! » Il n’a pas frappé, du coup. La porte n’était pas verrouillée. Il n’a pas vu l’intérêt. Alors il s’avance à l’aveugle et finit par entendre une voix, donc entre dans la pièce où ils se trouvent. Automatiquement, ses yeux se posent sur Axel, sans doute un peu trop longtemps, mais bien vite, il vient serrer Drake dans ses bras. « Je suis en retard mais Roger voulait pas faire entrer la limo ici, du coup j’ai laissé mon skate dans l’entrée. J’ai eu un peu peur que ce soit moche et que ça pue, mais ça va en fait on a vu pire. Genre l’appart de Sören. » Il parle trop vite, mais ce n’est rien d’inhabituel, quand on y réfléchit bien. Et ses yeux reviennent sur Axel. Gentil. Il faut être gentil. Deux pas suffisent à l’atteindre, et un instant gênant d’hésitation passe avant qu’il ne tende la main avec une grimace. Peut être pas comme ça. Dans les séries c’est comme ça. « Yo. Enchanté. Salut. Euh. Ca va ? » Il est gênant. Peut être qu’il vaudrait mieux être soi même. Peut être qu’il n’a rien à prouver, juste des efforts de gentillesse à faire. Mais c’est Drake, et c’est important.

Ca aurait dû bien se passer, parce qu’il avait essayé de prendre tous les éléments en compte, mais c’était sans compter sur les animaux. Il oublie tout le temps leur présence, il fait pareil chez Sören, chez Hel, même chez Solveig maintenant. Il arrive en se préparant à tout, et est surpris par une petite boule de poils hyperactive. Il réussit à simplement grimacer, pourtant, quand Proxy débarque en jappant, et à l’ignorer pour continuer sa vie normalement en faisant comme s’il n’existait pas. James n’a jamais été très doué avec les animaux. C’est Bérénice, après des heures de lavage de cerveau, qui lui a fait comprendre qu’il ne fallait pas les considérer comme des grosses peluches bruyantes et qu’il ne fallait surtout, surtout, surtout pas leur faire du mal, mais aujourd’hui encore, il n’en comprend pas l’attrait. Les ignorer. Les ignorer c’est le plus sûr. « Il mérite. Mais ouais j’avoue c’est joli, j’avoue. » Il ne sait pas quoi répondre à Axel si ce n’est un haussement d’épaules, alors s’en suivent les présentations officielles, summum du malaise. C’est étrange, d’essayer de faire les choses bien, pour quelqu’un qui a toujours été sociable sans faire attention à ce qu’il disait ou faisait. Être poli semble bien plus fatiguant. « Ben franchement là pas trop, je sais pas trop pourquoi je fais ça. » Il y a un rire dans sa voix, à lui aussi. Peut être qu’il suffit de se détendre. Peut être qu’il suffit de se laisser porter, comme il le fait d’habitude, en ravalant sa jalousie.

Un plat se retrouve dans ses mains, et il louche dessus, puis sur les tourtereaux, essayant de comprendre s’ils se disputent ou s’ils se chamaillent simplement, restant planté comme un imbécile avec les plats dans sa main. C’est vrai que tout le monde ne se nourrit pas exclusivement de plats commandés et de céréales. L’assiette lui semble presque étrangère tandis qu’il la pose d’un air perplexe sur la table la plus proche. « Oui ! » Bien sûr qu’il veut boire. Au moins, ça, il n’a pas hésité une seconde avant de le dire. Il suit Drake, peu importe où il l’emmène, et grimace de plus en plus en essayant de digérer l’information. Trois corgis. Lui n’en a vu qu’un dans sa vie, celui qu’il a offert à Solveig, mais elle lui a dit que Princesse était relativement calme, pour un corgi. Tout va bien se passer. Tout. Va. Bien. Se. Passer.

C’est alors qu’Axel reprend la parole que James réalise qu’il n’a pas arrêté de boire depuis que la bière a été mise entre ses mains, et il tousse un peu en essayant de cacher le fait qu’il l’a déjà presque terminée en reposant ses yeux sur le nouveau visage. Finalement, le sujet l’anime, et il oublie un peu la nouvelle personnalité concoctée pour l’occasion. « Oh ! Oui un peu, enfin pas autant que je voudrais, mais je peux pas vraiment. Enfin je peux, mais j’ai commencé quand j’étais petit avec trois amis, et on a jamais arrêté et on a toujours appris tous ensemble et on a toujours utilisé ça comme excuse pour se voir et faire des trucs et tout et maintenant deux d’entre eux sont amoureux entre eux donc on les voit plus trop parce qu’ils sont occupés – enfin on les voit mais c’est si drôle de les voir comme ça qu’on leur fout la paix en général – et l’autre c’est mon meilleur ami mais il a un mec con et il est pas au top en ce moment du coup il veut pas trop, ça lui est peut être passé un peu aussi. Du coup ben j’en fais tout seul, et en vrai vu que j’en ai pas vraiment besoin pour me déplacer, c’est un peu nul tout seul. » Il atteint enfin son débit normal, c'est-à-dire beaucoup trop rapide, et ses mains bougent de plus en plus pour pallier au trop plein de paroles. « En plus Roger a banni le skate de l’intérieur de chez moi alors que je comptais installer une petite rampe sur mon escalier, franchement je suis un peu blasé. Mais quand je peux je le fais du coup, c'est-à-dire quand j’ai pas la flemme, c'est-à-dire rarement on va pas se mentir. Pourquoi, t’en fais aussi ? » Ses yeux sont plantés sur Alex, cette fois. Le sujet l’intéresse, alors il ne pourra pas s’échapper.

Mais c’est sans compter sur le petit chien et le bazar qu’il devait forcément finir par faire. James sursaute alors que la nappe tombe, l’assiette des entrées qu’il avait posée dessus un peu plus tôt avec, et sans même prendre le temps de réfléchir, il grogne un peu, presque comme un animal. « Non mais voilà, voilà, moi je savais que les corgis c’était les pires animaux, j’ai offert ça à ma femme pour notre mariage eh ben je vous dit que je regrette déjà, qu’est ce que c’est con putain ! Vous voulez que je le mette dehors ? » Accroché à un poteau dans la rue pour lui apprendre. Ou juste le libérer dans la nature, peu importe. A bien y réfléchir, ce n’est peut être pas la chose à dire à quelqu’un qui apprécie son animal.